« …D’une veine béante au ciel s’écoule le sable du sommeil…
…Les grains s’amoncellent les uns sur les autres depuis des temps immémoriaux. Leur accumulation a fini par recouvrir tout l’univers, si bien que la surface du monde a été oubliée, au profit des flots intarissables de sédiments.
Des vagues vont et viennent sur cet océan ocre et granuleux. La lumière se réfléchit ardemment sur les dunes qui se soulèvent en fracassant les quelques vestiges de civilisation qui traversent l’épais manteau de sable. Au milieu de ce paysage désolé, où les toits qui dépassent font office d’îlots, la pointe d’une tour s’élève en maîtresse des hauteurs. Son horloge, visible de loin, tourne sans fin, sonnant inlassablement les heures d’un même jour éternel.
Ce jour est unique, la nuit ayant disparu de ces lieux.
Seule persiste une lumière infinie, sous un ciel strié de veines pâles qui pleurent sans fin leur sable.
Soudain, l’une d’elles se grippe. Le flot, jusque-là continu de sédiments, se met à lentement mais sûrement se tarir. La veine, souhaitant continuer son office, se contracte et tousse pour poursuivre son cycle. Elle tousse, tousse, tant et si bien qu’on pourrait presque entendre son spasme douloureux, sans que le moindre grain ne s’écoule encore d’elle.
Enfin, ça vient ! Elle expulse violemment un amas compact de sable, qui tombe en tournoyant.
Il s’ensable dans le reste des dunes, se fissure et se disloque en dévalant les pentes. De cet amas commencent à émerger des morceaux qui s’éparpillent dans l’air. Le petit corps, jusque-là piégé dans le cocon granuleux, se déploie pleinement et roule jusqu’à ce qu’enfin, sa course folle s’arrête, tête la première dans le creux d’une des dunes.
Ce sol, qui n’a jamais vu d’herbe, voit soudain dépasser une touffe blanchâtre du sable. La petite touffe tremble, jusqu’à ce qu’un visage émerge du sol.
Ce minois de très jeune homme cligne des paupières, chassant les sédiments de ses yeux. Lorsqu’il aperçoit les alentours, il affiche un sourire espiègle en découvrant qu’il est bien en vie. Enchanté de ce simple fait, le garçon au corps de jeune adulte s’appuie sur ses avant-bras pour se redresser d’un bond sur des jambes plus longues que le reste de son corps. Le garçon est vêtu de vêtements beaucoup trop larges pour lui, ce qui lui donne l’apparence d’un fantôme bariolé de bleu et de blanc. Le nouveau-né regarde aux alentours, d’ores et déjà fasciné par l’existence.
Il s’enthousiasme à la vue de son empreinte encore moulée dans le sol. Il s’émerveille davantage en découvrant les veines du ciel d’où s’écoule du sable sur la pente qu’il vient de dévaler. Mais ce qui l’impressionne tout particulièrement, c’est le silence de cet univers qui contraste avec le tic-tac incessant qu’il entend derrière la dune devant lui. »
Extrait du roman Les Insomniaques écrit par Nicolas Robert, à paraître d’ici quelques mois
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